Quand le tabac n'était pas mal vu

Publié le par Maxime Amiot

Des paquets de cigarettes sans marque ni logo. La mise en place probable du paquet neutre, à laquelle réfléchit le gouvernement, constituerait une nouvelle brique dans 40 ans de législation anti-tabac française. Après la loi Veil (1976), qui limite la publicité, puis la loi Evin en 1991 (vente interdite aux mineurs, interdiction de fumer dans les lieux collectifs, publicité interdite...) l'interdiction de fumer dans les trains (2005) et dans les cafés restaurants (2006), et l'étiquetage des paquets avec des avertissements graphiques (2011) ont définitivement placé les cigarettes au rang d'ennemi national.

La France n'a pas toujours fait la chasse aux fumeurs, loin s'en faut. Dans les familles, la première cigarette a longtemps constitué un rite de passage à l'âge adulte. Et le tabac occupait une place de choix dans les films, musiques, publicités... Un phénomène de masse, qui fait passer la consommation nationale de 62 000 à 102 000 tonnes entre 1950 et 1976.

A l'époque, même l'Etat soutient directement ou indirectement la cigarette. Jusqu'en 1972, l'Etat français distribuait gratuitement des cigarettes à ses soldats, avec le "tabac de troupe" (la marque Caporal de Gauloise, est une émanescence de cette tradition, souvenir des temps napoléoniens où les Caporaux avaient du meilleur tabac que les trufions).

Surtout, l'Etat était propriétaire de la Seita,qui détient le monopole en France sur la fabrication et la distribution de tabac. Une proximité qui paraît étonnante aujourd'hui, surtout lorsque l'on sait qu'il faudra attendre 1995 (après la loi Evin!) pour que la Seita ne soit privatisée, et 1999 pour que l'Etat ne s'en désengage complètement... A l'époque, les politiques ne se cachent pas pour fumer, à l'image d'une société où le tabac faisait partie des meubles...

Quand le tabac n'était pas mal vu
Quand le tabac n'était pas mal vu

Du fait de sa fiscalité élevée, le tabac a en outre toujours constitué un levier de recettes important pour l'Etat. Une vache à lait qui a même augmenté au fil des ans : en 2013, le tabac représentait ainsi des recettes fiscales de 11 milliards d'euros, contre 8 milliards au début des années 2000 et 5 milliards en 1991...

De fait, l'augmentation des prix compense la chasse aux fumeurs, alors même que l'Etat perçoit 80% du prix de vente tiré par la vente d'un paquet. Certes, cet argent finance la sécurité sociale, et permet ainsi d'assurer le suivi des fumeurs, mais le système est devenu une arme fiscale, très utilisée en période de disette budgétaire...

Qu'on le veuille ou non, le tabac a aussi drainé un pan d'activité économique non négligeable. Outre les buralistes, l'industrie du tabac a fait vivre jusqu'à 10.000 salariés dans les années 1950 via plus d'une vingtaine de manufactures, ainsi que 100.000 employés dans les plantations, qui s'étalaient sur 30.000 hectares. Aujourd'hui, on dénombre encore 2.000 planteurs (notamment dans le sud-ouest), pour 7.000 hectares de cultivation, ce qui place la France au cinquième rang des pays producteurs de tabac. Quant aux manufactures, après la fermeture de l'ancien site de la Seita (devenue Altadis en 1999, puis racheté par Imperial Tobacco en 2007) à Carquefou, près de Nantes, annoncée en avril, il n'en restera plus que deux, à Riom, ainsi qu'une usine de première transformation à Sarlat. Bordeaux, Châteauroux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Morlaix, Nancy, Nice, Orléans, Strasbourg, Tonneins... La litanie des fermetures rappelle aussi que derrière les règlementations, c'est une saignée sociale peu visible qui a eu lieu, quelques soient les méfaits, incontestables et avérés, de la cigarette.

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